La pomme était tombée sur ta tête. Surprise, tu t’étais mordu la langue et ton pied avait glissé du barreau sur lequel tu t’apprêtais à le poser. Tu t’écrasas deux mètres plus bas, atterrissant sur un fruit pourri dont la chair molle poissa ta tenue toute neuve.
«
Fait attention Palmyre » lança ta mère, qui était un peu plus loin assise sur l’une des chaises de votre jardin. Aussi rouge que la pomme qui t’avait frappé, tu te redressas le plus dignement possible.
La main en visière, tu levas les yeux vers le soleil qui déclinait à l’horizon. Déjà l’ombre de la maison s’allongeait autour de toi. Tu poussas un soupir.
«
Toujours la tête dans les nuages » te reprochait ta mère. Tu posas une main sur l’échelle appuyée contre le tronc du pommier. En début d’après-midi tu avais trouvé un minuscule nid abandonné dans la fourche de l’arbre. Fasciné, tu avais passé de longues minutes à observer le lacis de brindilles, de feuilles et de boue séchée qui le composaient. Puis il y avait eu cette toile d’araignée couverte de perles de rosée, semblable à une délicate dentelle rehaussée de joyaux. Tant de choses à étudier et à admirer…
Faisant rouler tes épaules endolories, tu balayas du regard le jardin. Finalement, tu remontas sur l’échelle, tentant de remplacer la pomme que tu avais fait tomber au sol. Tes doigts vinrent saisir un fruit mûr, tu te sentais victorieuse finalement de pouvoir profiter de ce pommier. Mais tel un tentacule insidieux, la douleur de tes épaules se propagea à ton ventre. Croyant que les barreaux là te meurtrissaient, tu te dandinais pour trouver une position plus confortable sur ton perchoir. Soudain, une crampe aigüe vrilla tes entrailles, tu faillis en perdre l’équilibre et te retiens de justesse à un montant de l’échelle. Les yeux plissés, tu attendais que la douleur passe. Cela faisait déjà plusieurs jours que des crampes t’assaillaient sans crier gare. Les dents serrées, tu te concentras sur ta respiration. Tu sentais un liquide chaud couler entre tes cuisses, portant ton regard, tu vis du sang, un instant tu pensas que ta première chute t’avait blessé. Mais tu fis tirer de tes pensées, une nouvelle crampe vint te poignarder l’estomac. Tu lâchas à nouveau prise en poussant un hoquet de douleur. L’échelle bascula, t'entraînant avec elle dans une vile chute pour finalement cogner dans le sol. Souffle court, tu avais du mal à ouvrir les yeux. Vive douleur qui s'empara de ton corps. Puis un cri, celui de ta mère. Rapidement recouvert, par un brouhaha. Tu secouas la tête, alors que ta mère était arrivée à ta hauteur paniquée. Tu n’entendais pas ce qu’elle disait, ses paroles étaient recouvertes par d’autres sons.
_ _ _ _ _
Dans tes rêves, la maison prend plus de place qu'en réalité ; la bâtisse est plus haute et plus imposante, les couloirs plus longs, labyrinthiques, l’intérieur plus froid et plus sombre. Dans tes rêves, c’est un dédale d’ombres et de passage étroits, d’escaliers abrupts, qui se courbe et se tord en nœuds cauchemardesques. Tu cours dans la maison, la panique au ventre, sans savoir si tu cherches à fuir ou à être trouvé. Tout ce que tu sais , c'est qu’une longue plainte résonne dans ton crabe. Un hurlement. Dans tes rêves, la maison semble avoir des intentions macabres, comme si ses fondations mêmes renfermaient une force maléfique qui rampait sous les planchers et dans les murs, contaminait l’atmosphère et marquait la destinée de tous ceux qui y pénétraient. Sol maudit qui avait fait de toi un être faible. Une pauvre petite chose dont la magie semblait vouloir être présente dans jamais pouvoir être maîtrisé.
_ _ _ _ _
«
Mademoiselle Fronsac » Tu fixais le sol, te contentant de serrer les poings, les laissant se crisper sur tes jambes, se refermer sur le tissu rosé et doux qui composait ta robe. Tu avais beau faire la sourde oreille, tu le savais, ton silence durait depuis bien trop longtemps, tu prétendais être égaré dans tes pensées, mais ce n’était qu’une ruse. Un bruit sourd, tu regardas la fenêtre, tu l’avais l'impression de l'avoir entendu se briser et pourtant elle était intacte. Prenant une profonde inspiration tu reportas ton regard sur le sol. Vile ruse pour gagner du temps, du temps de silence, plus tu lui en faisais perdre, plus tu pouvais rester silencieuse et moins il chercherait à comprendre. Ton esprit aurait souhaité réellement s’égarer, quitter ces lieux. Mais tu étais obligé d’être là, devant cet homme, pour parler. Parler, de ta santé principalement. «
Mademoiselle Fronsac » il se répétait, il avait compris le but de ta manœuvre, perdre du temps. C’était pourtant votre première séance tous les deux et il avait rapidement compris comment tu fonctionnais dans le domaine de la communication. Tu sentais tes joues chauffer, la gêne s’emparer petit à petit de ton corps. Encore une fois le même bruit, du verre qui se brisait. Tes pieds vinrent se frotter l’un contre l’autre et toi tu continuais de fixer le parquet qui était marron glacé. C’était la première chose que tu avais remarquée en rentrant dans le cabinet la première fois. «
Mademoiselle Fronsac s’il vous plait » sa voix se faisait plus ferme, provoquant un léger sursaut chez toi. Il ne t’avait pas fait peur, mais tu savais au fond que tu avais épuisé tes dernières minutes de silence. Entre ouvrant la bouche, tu levas les yeux vers lui. Tu retenais des larmes, sourire crispé, timide et forcé. Tes joues brûlaient, la gêne. Tu te demandas un instant pourquoi les conventions te forçaient à répondre à ses questions. Les questions, tu te mordis légèrement la lèvre pour réfléchir, fronçant légèrement les sourcils. De quand datait ta dernières crises«
J..euh…je crois »
Tu bafouillas comme quand on te forçait à parler, tu n’avais pourtant pas ce souci quand tu parlais volontairement. Mais son regard c’était son regard qui te rendait presque folle, tu le sentais te scruter, cherchant quelques choses. La réponse peut-être ? Après tout, son métier était de savoir comment et surtout pourquoi tu étais devenu ainsi, non ? Quelques choses dans son regard étaient impressionnantes comme lui, intriguant et effrayant à la fois. «
Il y a une semaine. » Quinze minutes de silence pour cinq mots. Tu préférais rester vague, il était compliqué d’expliquer cela. Ta main vient se perdre sur ton cou, comme pour te rassurer. C’était le tour de la deuxième réponse, deuxième questions. Comment vivais-tu ta condition, ton isolement ? Mais il avait été rusé et avait réclamé une réponse plus développé. «
J’ai… je n’ai pas une grande affection pour côtoyer les autres » Tes yeux vinrent rencontrer ceux du psychologue ce qui te fit assez rapidement baisser le regard, tu n’appréciais pas cette confrontation verbale et prenait énormément sur toi pour ne pas bégayer. «
Tout ce qu’ils voient ce n’est pas une personne, c’est juste ce qu'ils ont entendu à mon égards » murmurant tes derniers mots.
_ _ _ _ _
Palmyre n'étais-tu pas prisonnière de ton passé. Drôle d'oiseau destiné à de grandes choses avait chuté violemment contre le sol avant même de pouvoir déployer ses ailes. Quelqu'un les avait brisé et t'avait destiné à rester à terre. Ne pouvant plus que lever la tête et voir les choses filer entre ses doigts. le blanc de tes plumes s'était terni, acceptant ton destin, tu avais su t'adapter pour pouvoir faire ta vie. Même si celle-ci t'avait destiné à ne pas connaitre grand-chose en dehors des paysages connus qui entourait la demeure de ta famille
_ _ _ _ _
Tu observais depuis la fenêtre de ta chambre. Des amis de tes parents étaient venu pour passer l'après-midi chez vous. De fausse mondanité prenait place et tu ne voulais pas y participer. Tu n'avais pas envie de sentir les regards parfois peiné, parfois interrogateur à ton égard. Beaucoup trop de monde savait que Palmyre Fronsac était d'une constitution et tu détestais le regard qu'ils t'imposaient. Et pourtant tu étais là, à écarter les rideaux de ta chambre pour regarder dehors. Observer le monde. Ses gens. Ce semblant de vie que tu serais probablement incapable d'avoir. Leurs fils marche d'un pas rapide et légèrement sautillant, une démarche joyeuse, optimiste, une démarche que jamais tu ne serais capable de reproduire. Tu aimais bien les gens qui avaient ce genre d'allure, tu les enviais quelque peu. Ils faisaient visiter les lieux même s'il n'y avait rien à envier aux autres ici. Ce n'était qu'une vieille demeure, un jardin à peine entretenu et pourtant cet homme semblait joyeux. Les cheveux en bataille, chahutés par le vent, sans doute brun à l'origine mais blondis par le soleil.
_ _ _ _ _
Tu l'entends partir et lui répond un faible "
A plus tard." Mais tu doutes qu'il t'ait endenté. Tu écoutes ses pas dans les escaliers, le grincement caractéristique de la porte bien trop vieille et le claquement sec de la porte qu'il referme derrière lui. Tu ne pouvais pas lui reprocher d'avoir envie de partir, de prendre sa vie en main et de sortir de la cage dans laquelle tu vivais. Toi aussi tu voulais fuir parfois, t'échapper loin de ses lieux et de ton esprit tourmenté par le passé et de tes angoisses pathétiques du monde. Si seulement tu en étais capable. Mais tu n'étais pas assez forte, c'était un jour sans, un jour où ton corps était bien trop affaibli et ou tu peinais déjà à marcher. Tu l'aimais ton frère, sa présence avait toujours été une distraction salutaire dans cette existence rythmée par les préoccupations pitoyables qui te hantaient, que tu ressassais sans cesse, ton envie farouche de remontrer et changer le passé. Aussi fort que tu le voulais, tu ne pouvais pas. Personne ne pouvait défaire ce qui s'était produit. Et maintenant que tu étais certaine qu'il était partie, tu retournais dans ta chambre, t'allonger dans ton lit. Tu ne faisais bonne figure que pour lui, ton ainée. Tu ne voulais pas l'empêcher de vivre.
_ _ _ _ _