---

( LES PARADIS PERDUS  )
Beauxbatons. Dernières heures de l’après-midi. “Monsieur Deveraux. Puis-je savoir ce que vous faites dans ce couloir et qui plus est… accompagné de Mademoiselle Hansen ?” Se retournent les deux élèves, surpris dans leur observation. Petite arachnide qu’ils espéraient être une acromentule. “Je connais le programme de soins aux créatures magiques, je me suis permis d’épargner ma présence.” Hautain garçon. L’essence Deveraux ne l’a pas épargné. Gamin à sa quinzième année qui ose l’affront, ne courbe pas échine, trouve toujours réplique. Sournois ébauche risette. Malice claquée au faciès. Tombe le couperet d’une punition, d’heures supplémentaires à devoir aider le professeur pour sa recherche d’ingrédients en lisière de l’école. Clin d’oeil qu’il faufile vers Victoire, camarade et chamade émotionnelle. “Je me permets de raccompagner Mademoiselle jusqu’à son dortoir.” Disparaissent les fripons, inconscients des menaces professorales.

Malicieuse relation tissée à travers les années à Beauxbatons. Amour qu’ils éprouvent l’un pour l’autre. Mariage de sentiments qui survient quelques années plus tard, agite les murmures des curieux, des médisants. Gambadent les Deveraux à travers le monde, s’arrêtent quelques années à la Nouvelle Orléans. Objets qu’ils chinent à travers le globe. Bonheur véritable qu’éprouve Aurèle lors de ces années.
Monstre affamé de magie noire qu’il cadenasse.
Jusqu’à la dégringolade...


( AU NERF DES GUILLOTINES  )
Chasse aux créatures qu’il effectue tous les cinq ans. Passion noire conservée à l’abri des regards. Initiation du père qui l’emmenait observer les freak-show et autres cabarets où s’ébauchaient les monstres. Volonté de possession. Égoïste sorcier qui façonne une galerie des horreurs au sous-sol de sa propriété. Lycan qu’il traque cette année. Jeune loup observé quelques mois plus tôt. Pelage fascinant. Il est là. Sa proie. Nuit sur le déclin, là où la créature est plus faible.
Sortilège de la Mort trop simple. Aurèle jongle avec la magie, instaure un jeu sadique. Sortilège qu’il prononce, envoie furie d’un éclat. La chair du bestiau entamée. Râles qu’il entend, déchirent le silence. Chiot qu’il n’a pas su éclabousser de plaies. Juste une encoche au poitrail. Malheureuse situation qu’il constate quand l’animal se traîne sur le sol, cherche à éviter le dernier coup. Un sort musèle les crocs, un second tisse sécurité autour des pattes bordées de griffe. Cordes serpentines qui se resserrent à chaque tentative de fuite. “C’est une grande première. Je n’ai jamais raté une chasse. J’ai parfois perdu mes cibles, blessé gravement quelques monstres mais toi… si je te relâchais, tu vivrais. Que vais-je faire d’un tel trophée ?” 
Animal écroué dans une cage. Obscurité. Aurèle a fait le choix de conserver le loup, d’enfermer l’homme, de mesurer les cycles. Cobaye pour la magie noire qu'il invoque. Morbide regard qu’il porte vers le corps perforé de sorts et ustensiles acérés. Roule tendresse pour mieux abattre sentence de ses expériences. “Mon petit chiot.” Qu’il le nomme, l’appelle, module sa voix en velours. Kidnapping dont il n’a pas conscience. Excuse qu’il nomme sous la coupole de la recherche, de la curiosité. D’une bête qui ferait merveilleuse décoration à son salon. Caprice d’un chien que son père lui a toujours refusé. Dix mois s’écoulent. À faire des aller-retour. Torture du canidé. Un matin, il ouvre la cage, autorise la liberté. Lassitude à voir la bestiole se désagréger. Proie qu’il veut remettre sur le terrain. “À bientôt.”


( DE ROUILLE & D'OS )
Chimérique enfant. Pimprenelle. Momichon qu'il darde d'un regard cerclé fureur. C'est la main de l'épouse sur son bras qui l'empêche d'agir, de bondir, de claquer la chair coupable. Clin d'oeil qu'il adresse à la petite, l'assurance de se souvenir, que surgira le couperet pour sa bêtise. S'écoulent les heures, s'étend l'obscurité entre les murs de la demeure Deveraux. Il attend le moment où elle va se coucher. Monstre assis sur le fauteuil du coin gauche. Cauchemar vivace. Elle entre. La porte se verrouille d'un sort. Les murs sont voilés par magie, empêchent toute effusion vocale. "Nous avons une discussion à achever." Baguette qu'il laisse de côté, n'use jamais de magie pour corriger la gamine. Pogne féroce. La chair est entamée de bleue, nourrie de colère. Il la hait d'être une fille. Il la hait d'être douée. Il la hait à penser qu'elle aurait pu lui succéder. Gâchis. Enfant terrible.
Menottes cognent contre la porte, endiguent la frénésie noire de Deveraux. Un origami soufflé de magie est glissé sous la porte, vole oiseau et déploie message : "Pimprenelle, on a trouvé quelque chose, faut que tu vois." Roland et Lucien. Petites canailles à qui la liberté est offerte. Surtout Lucien. Le premier. Ainé majesté. Paluche se pose sur le visage de l'enfant, effleure derme, montre tendresse fourbe. "Pourquoi tu ne leur réponds pas ?" Sourire s'étire dans l'ombre. Double-Face. Croquemitaine rieur. "Rejoins-les. Je pense que ta correction a été suffisante."

( ATRIUM )
Une chambre. Une pièce vide, dénaturée de ses fonctions. De chambre, il ne reste qu’un lit. Pièce devenue refuge quand gronde la colère, quand secoue l'irascible émotion de son inaction. Elles sont mortes. Victoire et Louise. Effacées. Rayées. En putréfaction. Mortes. À chaque solstice d’hiver, c’est le même rituel, une ritournelle noire qu’il convoque sans résultat. Fantômes qu’elles ne sont pas devenues. Échos qu’il appelle d’une magie toujours plus noire. Néant comme réponse. C’est l’ersatz qui prend le relais. La nécessité, même stupide, d’un résultat. Potion qu’il ingère, chute aux limbes de ses souvenirs, s’emmêle à ses pensées, roule dans le chaotique de ses idées. Dégringole le corps contre le parquet. Atrium de ses souvenirs.
Pensine fissurée.

1906 - “Monsieur, c’est un garçon.”
“Et Victoire, comment va t-elle ?”
“Madame… elle…” Le médicomage n’a pas le temps d’achever sa phrase. Il écarte le malheureux, pousse les portes, s’autorise l’entrée dans la chambre devenue funéraire. De minouche qui braille, Aurèle ne pose aucun regard, ordonne qu’il soit écarté de la pièce. “Dégagez… dégagez tous de cette pièce.” La colère éclate, éclabousse chaque personne encore présente. Ils fuient les malheureux, ne posent aucune question, abandonnent l’homme avec le corps mort. C’est le déni. Le refus. Alors il s’allonge à côté de l’épouse, contre son dos, ramène le corps encore chaud contre son derme. Morte qu’ils ont dit. Juste endormie. Juste… un peu de temps. “Victoire. Réveille-toi… Victoire.” Trois jours à espérer. Trois jours avant que quelqu’un ose les séparer, arracher la morte amoureuse des griffes de l’ogre. Fracas du myocarde.

1927 - La panique gangrène à chaque recoin de l’hotel. Emotion vivace, empreinte terreur qu’il ressent au moment où il franchit la porte. C’est un elfe qui l’a prévenu. Une attaque, un colis, un sort. Aurèle fracasse la porte où se trouvent Pimprenelle et son épouse. Humanité en fracas. Elle n’a plus rien d’une sorcière. Créature difforme. Enveloppée de la mort. Gamine qu’il écarte de la créature. L’hésitation fait trembler la main. Larmes qu’il sent en bordure de ses yeux. “Louise…” Qu’il ose. Maladresse émotionnelle. Elle n’est plus rien l’épouse, juste une abomination, une horreur. Une monstruosité à éradiquer. Litanie qu’il entame, convoque la magie pour que cesse d’agir la marionnette au faciès mensonger. Trépas s’ordonne. Furibonde magie envoyée contre l’inférius. Finalité. Sac de chairs et sang sur le parquet. Poupée chiffonnée. Aurèle se moque des conséquences, avance, agrippe le corps décharné. Morte. Morte… Morte. Il faut les balbutiements de sa fille pour qu’il revienne à lui, se souvienne qu’elle est présente, vivante. Gamine qu’il emporte loin du carnage, fait taire ses questions, s’autorise l’inquiétude qu’il n’a jamais manifestée. Pimprenelle vivante. Louise morte. Noces funèbres.

Torpeur. Au matin, les souvenirs sont des vestiges, des tessons déglingués. Il croit les apercevoir, toutes les deux. Divagation. Deuils jamais enterrés. Subsistent deux fleurs. Deux plantes comme souvenir. Fleurs conservées de magie mais les pétales chutent, lentement, la floraison meurt avec le temps. Au dernier pétale qui jonchera le sol, c'est l'amnésie de leur existence qu'il a tissé d'un sort, la nécessaire ablation du coeur.


( RHIZOME CARDINAL )
Lettre de plusieurs pages. Apitoiement. Pathos. Pitié qu’il devrait ressentir, écho d’une tendresse pour ce frère éloigné à la Nouvelle-Orléans. C’est la colère qui survient, envoie valser les tableaux, magie incontrôlable qu’il laisse s’exprimer, ravager la pièce. Son frère quémande de revenir à Paris, de s’installer ici. Son frère qui vient de perdre leur empire aux Etats-Unis. Crevure. Chien. Foutraque engeance qu’il a toujours perçu comme une rature. Refus qu’il ne peut malheureusement pas formuler. Accepter. Souffler oui alors que la plume grattant le parchemin manque plusieurs fois de noter une négation.
Cohabitation oppressante.


( ABSINTHE )
Saint-Germain. Enterrement. Il est convié, comme d’autres. Famille qu’il estimait pour leurs recherches. Tombeaux érigés pour deux enfants. Il pense aux siens, questionne sa réaction si la faucheuse venait à les prendre. Minouche pour lesquels l’affection est atrophiée. Roland à qui il espère malheur. Pimprenelle qui n’est que regret. Lucien qu’il a érigé en petit prince mais si maigre magiquement en comparaison de sa soeur.

Les yeux osent curiosité vers la foule, harponnent les visages noyés de larmes, d’autres fustigés de douleur. Tête brune qu’il aperçoit à quelques pas. Faciès pour lequel il ose affront d’un regard plus appuyé. La main d’un ami se pose sur son épaule, brise l’impolitesse de son œillade. “C’est la fille Saint-Germain. Drizella je crois. Pas encore mariée, ce que je trouve étrange, à son âge… je peux savoir pourquoi tu la regardais ?” Drizella. Le prénom se crayonne dans sa mémoire.
D'autres instants, d'autres cérémonies où il s'invite, juste pour l'observer. Monstre logé à l'ombre, ignorant les chuchotis de ses amis, les exclamations d'inconnus. Trop jeune, trop étrange, pourquoi elle. Aurèle ne sait répondre. Ne veut donner syllabe à leurs questionnements. Réponse terrifiante qu'il garde, ne voudrait avouer que c'est une ressemblance, un écho, une diablerie à laquelle il s'emprisonne. Doublon de Louise qu'il croit percevoir dans le regard aux iris provocateurs.
Mariage clamé avec rapidité.
Festin de l'ogre.