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ACTE I.
« Drizella, qu’y’a-t-il donc ? » L’enfant observe Morgane Saint-Germain, sa mère, des larmes plein les yeux. Elle a un peu plus de 11 ans et parle pourtant très peu avec elle, offre le mutisme caractéristique de ceux qui héritent de ce don pour le moins dérangeant, qu’elle traine comme des chaînes accrochées à ses chevilles. « Izzy, s’est-on moqué de toi à Beauxbâtons ? » Elle détourne les yeux, provoque le froncement des sourcils de son père, signe de sa contrariété. Il a toujours été très juste avec ses gamins, sévère mais jamais malveillant, jamais volontairement et il ne tolère pas que l’on se joue ainsi de sa progéniture. « Ne faudrait-il pas la changer d’école ? Je crains que la France ne sache jamais apprécier cette.. » Drizella se redresse d’un mouvement vif, s’échappe de la pièce avec détermination : elle ne veut pas changer d’école, elle ne veut pas qu’on la considère faible, trop frêle pour tenir le coup dans une académie de sorcellerie réputée. Elle pourrait être mieux comprise dans des contrées où la culture ne traduit pas inévitablement les serpents comme synonyme de danger, d’incarnation du mal ou de la fourberie pourtant elle se refuse déjà à céder même si quelque chose en elle souffre, se froisse sous les regards critiques.


« Izzy, laisse-moi entrer, s’il te plaît. » Son frère a un an de plus qu’elle, à peine. Il est parfait. Elle le trouve parfait. Il est beau, toutes les filles le disent, beau à se damner. Et Merlin sait combien ça ne se dit pas. Gabriel est gentil avec elle, un peu trop protecteur cependant. Il a le goût des mondanités qu’elle n’aura jamais, le goût de la politique et des mots bien employés, digne fils Saint-Germain, digne historien en devenir - elle en est sûre. Elle ne répond rien, pourtant, alors il reste derrière la porte. « Je sais que ce n’est pas facile, que tu as l’impression de ne pas correspondre à Clotho mais tu ne dois pas te laisser persuader qu’il s’agit d’une erreur. Tu ne vas pas abandonner après trois ans, tu vaux mieux que ça. » Bien sûr qu’elle n’abandonnerait pas, elle est trop têtue, trop désireuse d’apprendre de nouvelles choses pour tromper l’ennui entre les instants d’attention de son père. Elle ne le décevrait pas en plein, pas sur le plan de la magie, c’était hors de question.

ACTE II.
L’Egypte, terre sublime, forgée de découverte. Ca n’est pas la première fois qu’ils s’y rendent, les Saint-Germain ont l’Histoire et les voyages dans la peau cependant cette fois, ils touchent au but, le tombeau est tout près. C’est un évènement qui rassemble, qui intéresse les journalistes, fait rêver l’Europe. Pouvaient-ils seulement rater cela ? Non. « Drizella, où .. » Morgane cherche des yeux, ne perçoit pas la silhouette de sa benjamine, interroge son époux en silence. Haussement d’épaules. « On ne la changera pas. Venez. » Izzy s’est éloignée, attirée par le sifflement contrarié d’un serpent, l’écho des lieux ayant amplifié le son. Baguette tendue, elle cherche où se trouve la créature, s’écarte d’autant plus du groupe. L’onde magique travers l’endroit, ne semble pas réellement l’atteindre. « Tu es tout seul ? » Le cobra acquiesce, baisse sa tête, la langue goûte l’air. « Tu protégeais le tombeau ? » Aucune réponse. Chemin inverse, se repérer n’est pas simple dans les pyramides, sur les terres sacrée du pays. Elle ignore à cet instant que toute sa vie va basculer.


La baguette est tombée sur le sol, se trouve hors de sa portée et elle ne parvient pas à se débarrasser de la poigne déterminée du jeune homme, les lèvres perdues dans son cou, la main agrippée à son menton. Il la réduit à son statut de femme, de vulgaire chose fragile à disposition et ça l’enrage toute en la laissant parfaitement impuissante. Il est beau, ça n’est pas le problème. Il est instruit, elle le sait puisqu’il faisait partie des fouilles archéomagiques. Il est incroyablement sûr de son charme, par dessus tout, et ne sait tolérer un refus. « Ton père t’a pas mariée. J’sais bien, moi, qu’il te traine pour te trouver un homme. » Agitation du coeur. Elle ne sait pas grand chose du mariage, Drizella, parce que ça ne l’intéressait pas, parce que ça ne la concernait pas. Elle ne veut pas déshonorer sa lignée. Elle leur fait déjà suffisamment de torts, avec ses étrangetés. Le cri s’échappe, fait cesser la bataille inégale, crochets plantés dans la cheville masculine, venin mortel inoculé impitoyablement. Interdite, la sorcière regarde le corps tomber, suffoquer dans le sable. Le rampant l’a suivie, ne la quittera plus jamais, petit cobra royal peu enclin à demeurer encore si seul qu’il ne l’était. Raja, monarque exotique.


Le noir l’habille, la robe de deuil épouse étrangement les formes, semble dater d’une autre époque, d’un temps plus noble. Ils en ont de la noblesse, les Saint-Germain, autant qu’ils ont de tristesse. Deux filles perdues, deux filles emportées par une mystérieuse maladie : ne reste qu’un fils, ne reste qu’elle dans l’ombre. Le regard accroche celui, aussi ambré que le sien, d’un homme dans l’assemblée. Elle sait qu’il se nomme Deveraux. Elle se sentirait presque disséquée par les billes précises, se sent obligée de détourner le visage d’embarras - il n’est pas l’heure de se perdre dans ses analyses, d’attirer l’attention quand chacun vient pleurer avec plus ou moins de sincérité Evelyne et Maryse. Elle ne pleure pas, Drizella, tout au plus a-t-elle l’attention dans le vague, les pensées occupées à s’interroger sur la manière dont un voyage avait pu être si rapidement fatal à des sorcières, de sang pur de surcroît. N’auraient-ils pas dû avoir les moyens de les soigner ?

ACTE III.
« Il te plaît. » « Ne raconte pas de sottises, Raja. » « Je sais qu’il te plaît. Il est vieux, non ? » Elle roule des yeux, patiente devant la demeure familiale où on est supposé venir la chercher, pour ce que tout le monde appelle les ‘conventions’. Elle ne peut s’empêcher de penser que les conventions ne se ressemblent jamais d’un pays à l’autre et qu’il s’agit là d’une manière bien originale de se compliquer l’existence. Eloignée de son cocon tranquille, elle se sent déjà observée, presque plus par le monde que par Aurèle, sans doute trop poli pour lui donner la sensation d’être une intruse, un reptile de mauvais augure et Raja resté auprès de ses parents n’est plus là pour détendre l’atmosphère. William et Morgane ont encore du mal à se remettre de la perte de leurs filles, c’est sans surveillance qu’elle avance aux côtés du sorcier - ils ne doutent pas que Drizella est trop étrange pour mettre en péril sa précieuse virginité. Elle n’a jamais évoqué ses quelques mésaventures lors d’expéditions. Elle en a vu, des choses, elle en a appris en suivant son père, moins considérée comme une fille que comme une bizarrerie plus douée pour apprendre que pour socialiser - on ne devait pas parvenir à la marier, la gamine.  


Elle a le regard rivé sur le mur depuis des heures, parfaitement incapable de fermer l’oeil, l’enveloppe charnelle légèrement recroquevillée sur le côté. Elle tourne le dos à Aurèle, qui lui parvient à dormir. Dormir, ce repos qui lui échappe, lui glisse entre les doigts. Elle a accepté cette demande, elle a volontairement dit oui lors de cette drôle de promenade où tout semblait organisé pour lui plaire, pour l’éblouir - sans grand succès à dire vrai. Elle lui avait trouvé du charisme, un quelque chose d’indéfinissable, de protecteur. Elle avait ressenti le besoin d’être protégée pour la première fois de sa courte existence et pourtant, entre ses draps, elle sentait son coeur s’effriter. Elle prenait lentement la conscience terrible de ce qu’elle avait choisi de faire, de ce dont elle se privait par la même occasion : être elle-même. Les conventions l’avaient broyées durant la cérémonie, elle s’était sentie piégée, cage de cristal pour la poupée libre depuis toujours de suivre les voyages à travers le monde, à chaque vacances, à chaque Noël, à chaque fois qu’elle s’était sentie rejetée. Aurèle Deveraux n’avait pas l’air de bien comprendre ce qu’impliquait le mariage avec une fourchelangue, les problèmes qu’elle lui causerait, les préjugés qui se mêleraient bien vite au nom imposant qu’il portait déjà. Elle avait menti. Elle avait menti entre ses bras, s’était crispée tout le long de ce que les gens choisissaient d’appeler « nuit de noces » comme si ça rendait la chose moins triviale, moins désagréable. Drizella était pourtant une sorcière très franche, grinçante disait-on, qui ne mâchait pas ses mots et avaient développé avec le temps une répartie qui avait le don de choquer les bien pensants dans leur nuage de coton et de certitudes bien douillet. Pas là. Elle n’avait pas voulu qu’il découvre de suite combien les sifflements étaient intrinsèquement liés à ses émotions, à ses réactions les plus sincères alors elle s’était fermée.  


« Madame ? Madame Deveraux, vous sentez-vous mal ? » Le vertige suit rapidement les mots, l’employé de maison la rattrape de justesse, au beau milieu des escaliers. La chute fatale est évitée et la jeune femme est rapidement conduite dans les appartements de son époux, allongée presque contre son gré sur le grand lit. Le médecin de famille ne tarde pas, elle se demanderait même s'il ne vit pas avec eux pour intervenir avec tant de rapidité. « Attendriez-vous un heureux évènement, madame ? » Silence. Elle détourne le visage, signifie que ça n’est pas le cas. Elle sait bien ce qu’il y’a : c’est l’Egypte, c’est ce tombeau, c’est cette momie. C’est cette vague magique qui avait traversé les lieux, elle en est sûre. Ca avait tué ses soeurs et elle ne pouvait pas y retourner pour avoir des réponses, pour en apprendre plus, coincée dans cette vie morne entourée d’une famille qui semblait se refuser à accepter sa présence comme autre chose qu’une fantaisie d’Aurèle. Elle se laisse examiner telle une poupée de chiffon, les pensées agitées par l’envie, le besoin de goûter à de nouvelles expériences, de se noyer dans quelques noirceurs délicieuses. Elle l’a senti, la dernière fois qu’elle a observé son mari, dissimulée à l’ombre d’une porte. Elle l’a perçu contre son cou, à sa dernière approche. « Je crains de ne pas savoir ce qui met votre épouse dans cet état, monsieur. Elle semble victime d’une sorte de dérèglement magique.. pour le moins mystérieux. L’hérésie sorcière provoquerait une perte des facultés, nous en sommes loin. Une affection psychique, peut-être. J’ignore à quoi elle a pu assister, il faudrait interroger les Saint-Germain mais j’ai bien peur qu’elle ne déprime profondément. Je reviendrai d’ici quelques jours. Bonne soirée. » Dépressive. Elle n’est pas dépressive. Elle s’ennuie. Elle enrage de la bêtise de ces médecins qui croient avoir tout vu, tout vécu et lui intiment l’ordre de se reposer. Elle en a bien assez du repos, dans cet endroit où elle ne sert strictement à rien. La colère gronde et c’est un vase dans la pièce qui rencontre violemment la tapisserie, se brise en mille morceaux épars.