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Sonne le carillon, une fois, dix fois, milles fois dans la journée avant de finir par s’arrêter. Epuisé il ne s’en vient plus que tinter pour ses quelques visiteurs du soir, ceux qui veulent la discrétion, ceux qui masquent les visages et taisent les noms. Assise dans un coin elle observe celui qui s’en va en dernier avant que le calme et le silence ne redeviennent les empereurs de son petit royaume de papier. C’est comme des relents d’éternité quand il n’y plus âmes pour s’en venir hanter les rayons boisés. Elle en bout de trajectoire, en figure de proue, elle se fait égérie du mensonge qui suinte entre les pages plus si blanches, entre les lames du parquet trop briqués. Comme ceux des siens, elle étale le banal pour voiler, à moitié, l’atrocité à laquelle ils se sont voués. Les monstres aux gants blancs qui sont toutes délicatesses et diligences un livre entre les mains, tandis que, derrière les lourds rideaux de velours, on distingue ce que les mains ont de rougeoiements et de bouches qui salivent l’obscurité, comme des chiens enragés. Là, derrière, loin des regards désapprobateurs, les pas se soulèvent et alors les membres de sa famille ont l’air de danseurs qui valsent aux rythmes d’une partition maudites dont les notes sont rouges du sang de ceux sur qui elles se composent. Collapse la raison quand on cherche à se faire un nom, mais plus que ça encore, les Kama ont toujours voulu dompter ce que la magie peut apporter de ténèbres avec elle car elle est l’intrigante qui domine, qui écrase, ceux qui veulent la soumettre et la soumission a eu bien de temps à leur consacrer par le passé pour qu’ils ne cherchent à en devenir aujourd’hui les alliés. Mais on ne devient pas alliés de l’ombre sans en payer le prix et là où elle grandit, corps et âmes sont à jamais maudits. Juste retour des choses. Œil pour œil, dents pour dents, et âmes pour âmes. Comme des sales gosses qui savent déjà tout de la racler qui les attends en châtiment, ça ne les empêche pas pour autant de continuer, d’empirer le tout, parce que dans le fond ça a aussi un peu l’espoir illusoire de pas se faire prendre, même si ça ne veut pas l’avouer, parce que ça s’interdit d’espérer… alors ça joue violement avec le feu, bien trop longtemps et ça se calcine le cœur pour supporter ce que demande en contre partie la plus noire des magies. Dans tout ça on n’épargne personne, elle, rien de plus qu’un veau sacrificiel sert d’outil à celui qui, derrière le long comptoir de chêne, juge sans clémence ceux qui passent le pas de sa porte ; à ses yeux, pour la plupart, des ignares qui se donnent des airs de grands aux entrailles endurcis, mais qui n’ont pour eux que la seule qualité d’être détenteurs de bourses bien remplis. Ceux qui trouvent grâces sous son regard, sont éphémères ou maudits plus que bénis. Elle n’est tout juste qu’une ombre indistincte, qui, au moins, ne lui cause aucun ennui et c’est là tout le rôle avec lequel elle compose. De toujours, pour faire dans l’originale, elle a souhaité sa bienveillance, mais ayant le tort d’être née femme et bien trop tard pour s’attirer un jour ses faveurs, elle, l’enfant docile, l’’enfant argile se laisse façonner, elle donne les apparences de celle qui agit par amour, par respect, mais au fond elle se dit, elle le sent, que ça n’a jamais été à contre cœur qu’elle a laissé la vague obscure la submerger. Elle se noie trop volontiers, elle le sait, pour avoir jamais réellement été forcé à s’entacher. Elle n’est pas elle. Elle joue avec elle-même et se force à se croire autrement, parce que, même ceux qui ont le cœur dur et les dents aiguisés veulent, la nuit tombée, voir une fleur à leurs côtés. Alors, petit rien qui a les trais de la douceur, se doit de l’être car on ne veut voir que ce que l’on veut voir et le reste se couvre, s’oublie. Un craquement dans la librairie fait tourner son regard, par réflexe. Dans un bureau non loin, à l’arrière de la pièce principale, son frère, dictant depuis un moment une missive à une plume, avait fini par plonger les lieux dans un silence plus complet encore qu’il n’avait pu l’être jusque-là. Il lui semblait ne jamais avoir à se justifier de quoi que ce soit auprès de qui que ce soit, du moins c’est ce qu’elle en voit, en déduit, c’est ce qu’elle lui envie surtout des fois, mais son sort n’est pas plus enviable que le sien ou de celle qui est à tous deux leur aînée. Il peut être pire même. Aux égards suivent les intérêts. Ses lèvres s’entrouvrent et laissent s’échapper un soupir, entre lassitude et contentement, inatteignable. Le regard à nouveau sur ce monde qui n’est pour elle, étranger, ses pensées volent vers sa sœur, la seule qui sait la faire sourire, la faire sourire vrai, elle qui s’est fait porter pâle, qui la laisser pour la journée. Les heures, sans elle, s’écoulent, apparemment, avec plus de paresse qu’elles ne le font d’ordinaire. Sans importance. L’aînée a su se créer son havre de paix, son domaine privé.  Pour cela la dernière née l’admire et la comprend, qu’importe la forme de l’évasion, elle reste salutaire et c’est sans doute pourquoi elle n’a pas envie de gâter cette liberté en venant là-bas la visiter. Quatorze ans pour se trouver, dix neuf à s’apprivoiser et pourtant encore maintenant, à elle comme au monde, elle ment. Elle reste avec elle, comme avec les autres, celle qu’ils sont prêts à accepter, celle qu’elle les juge apte à appréhender.  Pour autant, elle plus qu’aucun, pas même leur mère, n’a su lui être aussi précieuse aussi affectionnée. « Perséphone… » Sa voix en sentence et ses mots deviennent lois. Jamais il n’a su placer la douceur dans son ton pour se rendre appréciable, jamais ne l’a-t-il voulu en fait.  Le sourire comme une ombre sur ses lèvres, comme c’est à son habitude, elle se lève en sa présence dans le respect qu’il se doit de recevoir. Il use de plus de mots pour s’adresser à elle qu’il ne l’a eu fait en une année entière. La prévient que ce soir, la librairie ferme plus tôt, ferme sur le champ. En effet, sa mère, dit-il, a organisé un dîner en présence d’un invité dont il lui tait le nom. Surprise, un instant, plus par la venue d’un tiers, sans que sa mère ne lui en ai touché mot, qu’intéressée par son identité, son visage marque un interdit que son père relève à l’immédiat. Les boucles alors s’agitent dans les airs quand elle efface de son visage toutes intrigues et assure à son père qu’elle se trouve ravie par la nouvelle. Oh comédie pitoyable. Quoi de plus normal pour une enfant d’apprécier la société, de s’en sentir distinguée ? Quoi de plus normal oui ? Sans se poser plus de questions, alors qu’elle l’aurait dû, elle s’affaire autour à s’occuper comme il se doit de leur officine avant leur départ. Un dernier regard avant d’éteindre, sans un mot, les lumières autour d’eux et crac le silence quand s’évanouissent ceux qui l’ont entrecoupé.